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April 1987

Pages 34, 36, 37

FRENCH KISSIN’

DANS L’ENFER DES TOURNÉES PROMOTIONNELLES DES BANGLES, DEBBIE HARRY ET TIL TUESDAY, LES BELLES AMERICAINES, UNE SEULE OASIS : LA RENCONTRE AVEC UN JOURNALISTE FRANÇAIS. JEAN-ERIC PERRIN, PAR EXEMPLE.

Longtemps j’ai eu l’impression d’être un zombie, parce que j’écoutais plus volontiers Wanda Jackson et Barbara Pittman plutôt que les Stones, Martha And The Vandellas plutôt que Stevie Wonder, les Stinky Toys plutôt que les Clash, Blondie plutôt que Talking Heads… Je n’y peux rien, j’ai toujours eu ce goût définitif pour les voix féminines dans cette musique de rythme. En fan délibérément subjectif, je luttais dans mon coin contre le machisme traditionnel du rock’n’roll. Sans pour autant prétendre en tirer une gloire quelconque d’ailleurs! Aujourd’hui encore, si je veux écouter du soul-jazz cool, je vote d’office pour Basia, voire Sade, et relègue Style Council au rayon des « on verra plus tard ». Je prie pour le retour de Joan Jett et l’émergence du premier gang de metalrap féminin!
Ce particularisme ne me quittera plus, je l’ai dans les gènes, mais ces temps-ci, ma dangereuse déviance en matière de rock’n’roll est rentrée dans la norme. Plus besoin d’organiser une backroom dans ma discothèque pour tenter de dissimuler ce vice bien anodin : les filles triomphent, ou plus exactement savent se faire entendre, en Europe du moins. Parce qu’aux U.S. of A., c’est une autre paire de manche. A la limite, on tolère, voire encourage les belles plantes crooneuses et propres sur elles, la preuve en est la consécration rapide et énorme de la belle, talentueuse, mais fade Whitney Houston, ou l’accueil fait aux anglaises Sade et Lennox. Mais les rockeuses ne sont pas vraiment prises au sérieux.

2/ DEBBIE

Les deux premiers albums de Blondie sont des musts pour l’lle Déserte. Deux purs joyaux de rock’n’roll fantasy, deux pépites d’électricité et de fantasmes; en 76 et 77, ceux qui se lassaient déjà du son brouillon du punk anglais trouvaient là l’exutoire à leurs exigences en rythme échevelé. Blondie était, avec Talking Heads, les fers de lance du punk américain, ce qui prouve que ça ne voulait rien dire du tout. Mais tous ceux qui ont vécu ces temps fiévreux, ceux qui se pressaient au premier rang lors du fameux concert parisien de la Marilyn du rock, au Stadium de la porte d’lvry en automne 78, tous ceux-là savent comment le gang de Debbie Harry et Chris Stein a su occuper une place prépondérante dans leur souvenir d’adolescence. Et tant qu’on y est, sur la foutue île déserte, on pourra embarquer un best of du Blondie star, de la période 79-82, de « Heart Of Glass » à « Rapture », tous ces hits bien fichus et qui passent bien l’épreuve du temps.
Bordel, quelqu’un a ouvert le tiroir à souvenirs. Depuis toutes ces années de silence, on n’avait pour information que des bruits de chiottes : la douloureuse maladie de Chris Stein, et des histoires d’impôts et de magouilles financières qui laissaient le couple has been sur la paille. Tout ça était bien triste. Et puis, il y a deux mois, le retour qu’on n’attendait plus, en forme d’album solo de Debbie Harry, produit et co-écrit avec Seth Justman, l’ancien clavier du J. Geils Band. Un disque honnête, après tout c’est bien normal, ses auteurs ne sont pas les premiers venus. Mais, en dehors de la voix inchangée qui réveillait chez nous pas mal de démons assoupis, on ne peut pas dire « Rockbird » soit un disque magique.
Pourtant il est un vrai bonheur à côté de la désagréable impression que m’a laissée la rencontre de l’ex-égérie des punk-rockers. Entre l’attaché de presse gougeat qui criait au scandale dès que j’évoquais le passé (ce qui était pourtant indispensable, il me semble), et une chanteuse absente, manquant du plus élémentaire enthousiasme pour parler d’elle et de son travail, je me suis demandé ce que je foutais là, et quelle était cette conspiration sordide, montée pour essayer de récupérer un brin d’oseille en titillant la fibre émotionnelle des anciens fans!

COMÉDIE MUSICALE
Quoiqu’il en soit, madame Harry m’a quand même confié ceci :
Debbie Harry : – Toutes ces années je suis restée profil bas, j’ai juste fait deux singles pour des chansons de film, « Rush Rush » pour « Scarface », et « Feel The Spin » pour « Krush Groove », et puis j’ai joué dans une comédie musicale, un rôle de catcheuse, c’était sympa. Mais rien du boulot habituel, disque, tournée, promo, etc. Je voulais réfléchir et me retirer un peu pour me réorganiser, porter un regard neuf sur les choses, c’était important pour moi.
– Pourquoi avoir choisi Justman pour revenir sue le créneau?
D.H. : – Je l’ai rencontré par l’intermédiaire de Geffen Records, je savais qui il était bien sûr, mais on ne s’était jamais vu. On s’est bien entendu, on a eu des expériences similaires, d’abord avec un groupe à succès, et puis en solo. On a eu une bonne compréhension mutuelle, c’était chouette. C’est plus simple que de bosser avec un groupe, pas besoin de discussions san fin.
– « Koo Koo », ton premier album solo, préfigurait Madonna et toute la dance music, pourquoi Rockbird est si « Rétro » ?
D.H. : – Je voulais que ce disque soit une sorte de pont entre ce que faisait Blondie et ce qu’il y avait sur « Koo Koo », mais je crois que finalement on est plus proche de Blondie. « Koo Koo » était très en avance sur son temps, j’ai été surprise qu’il n’ait pas mieux marché, il était bon, cette combinaison de mon style avec celui de Chic… Peut-être que réédité il pourrait mieux marcher, il était populaire dans les discothèques, et la pochette de Giger était belle.
– A partir d’aujourd,hui, tu replonges dans le business à fond ?
D.H. : – Je n’ai pas de groupe, donc ce ne sera pas la routine usuelle, disque, tournée, disques, tournée.. Mais je ferai des shows, éventuellement… J’aimerais refaire une tournée mondiale, mais je ne crois pas que je réitèrerai tout ce que j’ai fait auparavant. J’avais besoin d’être loin de tout ça, les interviews etc. Maintenant que je le refais, ça ne m’est pas étrange ni nouveau, mais il me fallait un break.
– Pourquoi à nouveau chanter une phrase en français?
D.H. : – Ah oui, « French Kissing », ben je n’ai pas écrit la chanson, c’est un hasard, le type l’avait envoyée à la maison de disques, je l’ai entendue et j’ai voulu la chanter, il ne l’a pas écrite pour moi particulièrement.
– Cette comédie musicale, ça t’a ouvert des horizons pour une carrière d’actrice ?
D.H. : – Je commence à avoir des offres pour le cinéma, je viens de faire un petit rôle dans un film à côté d’Hanna Shygulla, dans « Forever Lulu » ; elle est merveilleuse, j’ai pu prendre des leçons en la voyant travailler.
– Les pubs pour ton disques annoncent la couleur : « votre blonde favorite est de retour », c’est un peu téléphoné, non ?
D.H. : – C’est mon surnom aussi bien que c’était le nom de groupe, c’est donc une réaction légitime des gens, mais je fais un truc différent maintenant, entièrement concerné par moi… Pourquoi, tu penses que ce n’est pas bien ?
Comme su c’était à moi de répondre à cette question !

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