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STARFIX

April/May 1984 – No 15

Pages 50, 51, 52, 53, 54

PREVIEW
VIDEODROME

Préparez-vous bien à recevoir Videodrome. en plein nerf optique. Ce n’est pas le genre de film qu’on se tape avec sa copine un samedi soir, de retour d’une pizzeria, ou encore qu’on encense dans les colonnes de Télérama. Non. Mais il ne faut pas non plus que Videodrome devienne un “cult-movie” pour horror-maniacs de bas étage…
Ce film-charnière de Cronenberg est tout simplement inclassable.

Dur destin que celui Vidéodrome. Vous êtes bien placés pour le savoir, puisque voilà un an, apprenant qu’il ne serait pas distribué chez nous par la CIC, nous vous avions appelés à la rescousse pour le soutenir et l’aider à sortir sur les écrans français.
Pourquoi tant de déboires? A cause de son échec public cuisant aux Etats-Unis? De son classement “X” par les censeurs vidéo anglais? Des effets de maquillages réputés ignobles qui dépassaient tout ce qu’on pouvait imaginer? Des galipettes sado-maso de l’ex-Blondie, Debbie Harry?…
Effectivement, il y a tout ça dans Vidéodrome. Et même beaucoup plus. De quoi en faire un film mythique. De ceux dont les initiés parlent comme d’une entité quasi-vivante, une création monstrueuse, qui aurait non seulement débordé son géniteur (David Cronenberg en l’occurrence) mais littéralement agressé les cerveaux des spectateurs les plus fragiles. Aargh! Vidéodrome est bien le film le plus fou du moment. Un spectacle unique, intelligent, surréaliste, sexuel, poétique, drôle. A placer aux côtés du Voyeur de Michael Powell ou même du Chien Andalou de Buñuel, films bizarroïdes et exceptionnels qui firent tout autant jaser les foules en leurs temps. Il mûrissait dans le cerveau encombré de Cronenberg depuis pas mal d’années. Le succès mondial de Scanners lui a permis de le réaliser. Mais encore fallait pouvoir le montrer…
Pour nous, après un an d’angoisses, c’est chose faite. Ne ratez pas le coche d’ici un ou deux mois. Voilà le film bilan et libérateur d’une des carrières les plus étonnantes du cinéma contemporain.
L’histoire de Videodrome n’est pas de celles qu’on résume en deux-trois coups de cuillère à pot dans une notule de Pariscope. Elle est complexe, dense, stratifée. Ce qui est parfaitement logique dans un film dont les protagonistes sont la télé, le câble, les satellites : toutes ces machines sophistiquées qui dispersent aux quatre coins du monde et recréent pour leur public un ensemble d’images truquées, fabriquées, tripatouillés. Inventant une nouvelle réalité, où l’on ne parvient plus à discerner le vrai du faux, l’image prise sur le vif de l’image mise en scene. Où l’intellect perd pied et se noie dans un marais de phantasmes visqueux.
Le héros du film, Max Renn (James Wood) va justement être victim de sa consommation boulimique d’images télévisées. Il est directeur d’une petite chaîne pirate canadienne, spécialisée dans le porno et la violence. Concurrence oblige, il doit toujours en rajouter dans le sensationnel, repousser les limites du décent, pour accrocher son audience.
Un jour, un de ses techniciens capte une émission qui lui en fout plein les mirettes, à lui, le pornophile blasé et sceptique. Ça s’appelle “Videodrome”. On y torture des gens sobrement, avec une conscience professionnelle de bon aloi. Pas d’effets vraiment spectaculaires, un décor réduit au strict minimum : un mur de glaise visqueux et rouge où sont scellés quelques bracelets de cuir sado-maso. Et fouette cocher sur les croupes des jeunes filles en pleurs! Max n’en peut plus, surtout que sa conquête du moment, (Debbie Harry) une animatrice de radio pour cœur esseulés (genre Ménie Grégoire avant la ménopause), s’émoustille fortement à la vision des extraits de Videodrome, que Max a recopié sur cassettes. La bougresse est tellement allumée par le spectacle, qu’elle s’en brûle les seins à coups de mégots, et veut à tout prix participer au “show”. Max, lui, commence à dérailler. D’abord parce que contrairement à ce qu’on lui avait laissé croire, les sévices télévisés ne sont peut-être pas de simples mises en scénes exotiques made in Malaysia, mais tout bonnement des “snuff-movies” en provenance de Pittsburgh (USA). Snuff-movies kézako? Eh bé ce sont ces films clandestins financés par la mafia où l’on martyrise jusqu’à les tuer des victimes pas consentantes du tout.
En plus, quand son poste télé se met a palpiter et à pousser des halètements, quand sur l’écran, des lèvres géantes apparaissent, se mettent à gonfler et à lui faire du gringue et que, comble du comble, son estomac s’ouvre à la façon d’un vagin obscène pour aspirer pistolet automatique et vidéo-cassettes, alors là, Max commence vraiment à se poser des questions. Le programme Videodrome est peut-être plus qu’un simple spectacle-choc pour pervers polymorphes : une drogue inédite, un hallucinogène redoutable qui s’immisce dans le cerveau du télespectateur insouciant, détraque sa perception de la réalité, et le fait délirer comme un malade. Du L.S.D. diffusé par tube cathodique en quelque sorte.
Max, entre deux mauvais rêves, va essayer de découvrir un peu ce qui se passe derrière tout ça. Qui programme Videodrome? Dans quel but? Ne sert-il pas lui-même de cobaye à des expériences d’un genre tout nouveau que trame quelque organisation secrète pour prendre pos session des esprits?…
Son chemin de croix ne fait que commencer…
Vous êtes certainement fans du cinéma de Cronenberg. Nous aussi. Il faut dire que son monde, son folklore plutôt, est excitant, efficace et graphique à souhait. Normal. Dès son plus jeune âge, sur les campus, il dévorait les E.C. Comics, ces petites B.D. d’horreur qui faisait aussi le bonheur de toute sa bande de copains Wes Craven, George Romero, Lewis Teague et Gary Sherman. Sachant qu’il a également fait ses classes dans les amphis de médecine, on ne s’étonnera pas qu’il soit devenu le grand “manie-tout” du cinoche cradoque, viscéral et organique. Au pied de sa statue érigée après Frissons, Rage et Chromosome 3, des hordes de fans s’agglutinent, et en redemandent, tout excités par les parasites gluants, mongols fœtus et autres cancers libidineux. Ce qui est gênant, c’est qu’au passage, ils ratent ce qui fait aussi l’intérêt de ces films : le côté parabole sur la médecine aux mains d’apprentis-sorciers inconscients (Chromosome 3 et ses cures psychiatriques monstrueuses) ou sur l’univers clinique et concentrationnaire de la société canadienne (Rage, Scanners et ses monstres clochardisés).
Videodrome est une réponse définitive et passionnante à la fascination de ce public borné, qui standardise son cinéma. Cronenberg fait le point. L’horreur de ses films ne devient-elle pas artificielle, mécanique? N’est-elle pas en deçà de la voilence quotidienne réelle, celle des documentaires/reportages diffusés chaque soir dans les journaux télévisés?
En fait, tout cela, c’est du pareil au même. Dans ce contexte, Videodrome agit comme une purge où Cronenberg règle ses comptes avec l’image. Toutes les images. Les soi-disant vraies (snuff) comme les soi-disant fausses (celles de ses films et celles que Max Renn, son héros, recherche pour pimenter ses programmes). Toutes se confondent dans un monde sans repères et quotidien : la télévision.
“Je ne voulais pas faire un film à message, mais beaucoup de gens l’ont perçu comme cela. Videodrome part du fait que les médias créent une nouvelle réalité. L’un de mes personnages affirme que “la réalité télévisée paraît plus vraie que la réalité”. Par exemple, pour parler de la guerre du Liban, il y a deux images : celle que j’ai dans la tête, et celle qui est donnée par la télé et les journaux. Mais quelle est la réalité? La vraie guerre n’a rien à voir avec ce que je crois être sa réalité. Les médias créent une fausse réalité à laquelle nous croyons”.
Le “Videodrome” du titre, c’est justement ce petit écran de salle à manger où tout le monde se tape les pires horreurs sur magnétoscope. La télévision est un cirque d’images sensationnelles qui fait déjanter la conscience du spectateur. “Lorsque vous regardez un vieux film à la télévision, un acteur apparaît. Vous vous demandez : “Est-ce qu’il est toujours vivant?” Vous ne le savez pas parce que vous ne l’avez jamais vu. Pourtant, il est parfaitement vivant devant vos yeux. Même s’il est mort, cela n’a pas d’importance puisque son image est toujours vivant. La vie et la mort deviennent des repères sans valeur.”
Max est projeté littéralement dans cette arène. Comme un gladiateur il doit s’y débattre avec des images vivantes, carnivores qui ne s’attaquent plus seulement à son subconscient, mais à son corps, sa chair. N’allez pas croire que tout cela ne soit démonstration fumeuse et intello, surtout pas. Comme toujours chez Cronenberg, là où il y a de la théorie, il y a avant tout de l’action. Pas de blabla, du concret! Cronenberg pousse à fond le concept de l’image dominatrice. Grâce aux effets de maquillage signés Rick Baker (Le Loup-Garou de Londres), les phantasmes de Max, causés par le programme Videodrome, prennent réellement chair. Une chair plutôt malsaine et purulent : ses membres se déforment, son ventre se transforme en une sorte de boîte aux lettres organique où l’on peut introduire des cassettes vidéo veineuses et sanguinolentes. Tout son corps devient une entité programmable et mouvante qui croît comme une mauvaise chair jusqu’à contaminer tout son entourage. Cette fois, les effets “gore” ne sont pas gratuits et racoleurs, mais surenchérissent dans l’ignoble de façon logique et implacable, pour atteindre un point limite, une résolution : l’éclatement, le débordement, la mort. Cette mauvaise chair prend tellement de place qu’elle doit crever comme un abcés, imploser comme un téléviseur. S’anéantir, pour que renaisse une autre chair moins vicée. Libératrice.
C’est pour cela que Videodrome est un film vital, excitant, nécessaire. Pour tous. Et pour Cronenberg. Sa nouvelle chair, lui, il va la trouver dans Dead Zone. Là, plus de fauxsemblants, d’images-simulacres et dangereuses, mais la recherche d’une sérénité intérieure après la tempête corporelle du Videodrome.
Il devrait sortir d’ici deux mois.
François Cognard et Matthias Sanderson

FICHE TECHNIQUE:
VIDEODROME. 1982. USA/Canada. 89 mn. PR: Claude Héroux, Pierre David, Victor Solnicki pour Universal. REAL : David Cronenberg. SCN : David Cronenberg. PH : Mark Irwin. DEC : Carol Spier. SFX MAQ : Rick Baker. MONT : Ronald Sanders C.F.E. MUS : Howard Shore. DIST : Distributeurs Associés. SORTIE PARIS : Juin 84. AVEC : James Wood (Max Renn), Deborah Harry (Nicki Brand), Sonja Smith (Bianca O’Blivion), Les Carlson (Barry Convex), Peter Dvorsky (Harlan), Jack Creley (Brian O’Blivion).

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