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Rock & Folk

September 1981 – No. 176

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Monsieur Stein et Madame Harry devisent paisiblement sur travail et famille. Chris aime les gadgets, Debbie le potiron. Chris fait de la musique, Debbie du cinéma. Mais l’on reste sans nouvelle de Blondie (par Dali de Clair).


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VIE PRIVÉE

Deborah Harry et Chris Stein, la reine et le roi de l’underground new-yorkais, vivent au sommet d’un immeuble modeste au cœur de Manhattan (ils y ont emménagé après l’incendie de leur premier appartement) où ils s’adonnent à des dizaines d’excursions extramusicales.
Le projet Blondie est au repos. « Il est indispensable pour un artiste d’essayer des choses nouvelles sans le groupe dont il fait partie », dit Debbie qui, sans Chris ni Blondie, a fait plusieurs apparitions télévisées amusantes au cours du show de Merv Griffin, de « Saturday Night Live », des Muppets et dans des publicités originales pour une certaine marque de jeans, publicités dont Chris Stein et John Lurie avaient écrit la musique.
Après « Unmade Beds » (Amos Poe), « Roadie » (Alan Rudolph), Deborah a interpété son premier grand rôle aux côté de Dennis Lipscomb dans « Union City », le film de Mark Reichert dont Chris a composé la musique, tout comme il a composé celle de « Polyester », le film de John Waters ( « Pink Flamingos » )… Chris admire Peter Cushing et Christopher Lee. Il n’est par conséquent pa étonnant de le voir se spécialiser dans les B.O. de films d’horreur. On entend en effet Blondie ( « Union City Blue ») dans « The Hand », le second film de Oliver Stone (scénariste de « Midnight Express », et dans « Drats », le film d’animation canadien. Chris a également décidé de produire un disque réunissant les musiques du film d’horreur « Eraserhead ».
Chris, qui réalisé les pochettes de albums solitaires de Robert Fripp, paraît lui aussi à la télévision au cours du show « TV Party » de Glenn O’Brien sur une des chaînes locales. Il achève en outre un livre au tobiographique réunissant les photos qu’il a prises au cours des neuf dernières années et des textes de Debbie et d’un ami commun, Victor B. Depuis près de deux ans il se passionne pour la vidéo, qui semble actuellement l’emporter sur ses goûts photographiques.
Le goût de l’image a toujours été reflété dans la musique astucieuse de Blondie (qui, après tout, était une bande dessinée célèbre aux Etats-Unis avant que le nom ne soit associé à une musique colorée). Nonobstant leur succès musical et visuel, Debbie et Chris gardent les pieds sur terre. Ils ont le sens de la rue, des modes et des musiques nouvelles qui se façonnent soir après soir dans les multiples clubs new-yorkais où il m’est arrivé de les croiser ou de les écouter jammer (avec les Contortions, par exemple). Récemment, Chris et Debbie ont fait partie des musiciens jouant en l’honneur de Anya Phillips, la très jeune manager de James Chance, au cours de son James White Funkathon organisé au Bond’s et dont les profits aideront à soigner le cancer d’Anya.
Chris et Debbie forment un couple naturel, spontané surtout, dont le double regard est à la fois perçant et amusé. Chris est un touche-à-tout inventif, humble, passionné et philosophe qui marmonne façon Gainsbourg. Un soir dans un studio downtown, je l’ai vu fouiner et écouter pendant des heures un tas de bandes d’effets sonores préenregistrées, à la recherche d’un cri de jungle qu’il voulait inclure dans le disque d’un groupe débutant. C’est un personnage de BD, éminemment sympathique, yeux rieurs abrités derrière de grandes bésicles: « Je suis très heureux… Tout le monde a un jour rêvé d’être une rock star, surtout les gens de ma génération… Mais personnellement, j’aimerais quand même entrer un jous dans une soucoupe volante et y voir Godzilla. »
« Je puis dire que mes rêves se sont réalisés, non pas parce que je puis m’acheter une voiture, mais parce que je suis aujourd’hui capable de monter en scène et d’y chanter, ce que je n’ai pu faire pendant de longs mois à cause de ma timidité », dit de son côté Debbie… Deborah Harry est une femme foncièrement simple et réaliste (c’est en surmontant sa timidité des débuts, quand le public ne réagissait aucunement à sa présence scénique, qu’elle a attiré l’attention non seulement sur son personnage, mais également sur le concept du groupe) qui, tout comme Chris, peut au cours d’une conversation se passionner ou s’indigner avec véhémence de façon tout à fait inattendue… Debbie est restée elle-même: « Les gens avec lesquels je collabore sont restés eux-mêmes, nous avons gardé la même famille et les mêmes amis. Nous sommes vraiment comme tout le monde. » Une femme à qui l’on ne ment pas, une Yoko Ono des affaires musicales qui dit toujours ce qu’elle pense. Ainsi, au cours d’une exposition au PS 1, elle a profité d’un silence pour lancer à Lisa, l’amie de John Lurie (Monsieur Lounge Lizards, qui avait détesté le démo-tapes produites par Chris pour son groupe), fidèle à l’accent de son New Jersey natal: « Your boyfriend is a jerk! », ajoutant en criant: « Les bandes produites par Chris sont tout aussi bonnes que celles de ce Teo… » (Macero, le producteur de Miles Davis et du premier album des LL.) Car Debbie devient tigresse lorsqu’il s’agit de Chris, de certaines injustices ayant trait à sa vie privée ou à la carrière du groupe… « Sur « Autoamerican », j’ai décidé d’être réaliste, de rester au niveau de la rue. Je m’adresse aux vrais gens de la rue, aux hip-hoppers, aux rappers… La nouvelle vague est une vague plastique. Ceux qui aujourd’hui en font partie sont nos futurs programmeurs d’ordinateurs », s’exclamet-elle.

NOUS DEUX
Le relation de couple Chris-Debbie est très sensible, subtile et équilibrée. Ils se regardent souvent, se corrigent et s’écoutent tout en riant de leurs remarques et anecdotes. Le téléphone sonne sans cesse. Deborah s’éclipse un instant dans la cuisine où elle prépare une tarte au potiron, tandis que Chris s’assied sur un canapé parmi un amoncellement de lettres de fans, de lettres d’affaires, de photos, d’invitations, de disques, de dessins et de jeux électroniques, face à une immense stéréo… « Les seules choses que je m’achète sont liées à la musique… il s’agit d’appareillages sonores pour ma guitare, pour ma stéréo, vidéo… »
R & F – Apparemment, votre couple est très équilibré…
Chris Stein – On a toujours essayé de diminuer l’importance de Debbie. On a dit que j’étais son Svengali. C’est une attitude très sexiste. Nous nous sommes toujours aidés l’un l’autre… même musicalement. Aucune manipulation. Les deux côtés ont leur mot à dire. J’appelle cela le « syndrome Ike Turner »… Tout le monde croyait qu’il gardait Tina ficelée dans la douche avant le show et qu’il la lâchait ensuite sur scène, alors qu’en réalité c’était l’inverse qui se passait.
Debbie Harry – Au début, on se chamaillait souvent… Après un certain temps ensemble, huit ans en fait, nous commençons à avoir la même vue des choses. Nous sommes vraiment des partenaires. Je pense que j’ai une meilleure compréhension du monde des affaires. Chris, lui, a un meilleur sens de la logique et du temps. Certains jours, je ne puis supporter de répondre au téléphone… ça m’énerve. Dans ces cas-là, Chris se charge des affaires.
C.S. – Non rôles respectifs sont difficiles à définir parce que nous changeons. Nous avons une relation très fluide qui peut s’adapter à presque n’importe quelle situation. Je pense que nous avons une relation normale.
D.H. – Je ne pourrais classer mon existence dans l’une ou l’autre catégorie: normale – anormale… C’est mon existence, c’est tout. Je ne crois pas qu’une existence domestique existe. Tout le monde vit sa vie comme il l’entend… Je fais tout dans ma vie…
C.S. – Elle porte son sac, elle va chercher ses verres d’eau elle-même et elle cuisine…
D.H. – Il faut qu’on mange. Je ne puis commander des sandwiches au Wolf’s Deli tous les jours.
C.S. – J’ai été traumatisé par le réfectoire à l’école, alors je n’aime pas manger au restaurant. En fait, nous avons dépensé la moitié des royalties de nos deux derniers albums à l’achat de steaks mammouth importés de Sibérie!…
R & F – Debbie, est-ce que vous vous identifiez à la ménagère, à l’épouse réprimée sexuellement dont vous avez incarné le rôle dans « Union City » ?
D.H. – Cela se passait comme cela dans les Années 50. A cette époque j’étais une enfant et j’avais une compréhension assez vague de la vie quotidienne. Tout comme celle de cette ménagère, ma vie était menée dans une direction préétablie… On ne m’encourageait pas à me lancer dans la carrière de physicienne atomiste, par exemple! Il était convenu que je deviendrais une ménagère, et éventuellement une mère de famille. Chris et moi, c’est différent. Nous nous soutenons. De plus, j’ai toujours voulu faire partie d’un groupe sans y être à l’avant-plan.
R & F – Pourtant, vous êtes le plus souvent associée à l’image du groupe. Le public a-t-il des réactions bizarres vis-à-vis de cette image publique?
C.S. – J’ai moi-même toujours été attiré par les photos de filles… surtout celles de Debbie! Parfois, je reçois des appels téléphoniques au cours de la « TV Party », mais ce sont toujours les mêmes types qui veulent parler d’un certain aspect de Debbie. A ce point de vue, les lettres de nos fans ne sont pas terribles. Nous ne recevons pas de polaroids de mecs en érection… du moins, elles ne nous parviennent pas. Les pires sont celles qui nous demandent des sous-vêtements ou des souliers. Debbie représente l’attrait visuel du groupe, mais elle n’en est pas consciemment l’image. Elle ne manipule pas. C’est sa façon d’être, c’est naturel. Après tout, chaque groupe a son symbole sexuel, mais on n’en parle guère s’il s’agit d’un groupe composé uniquement d’hommes. L’étroitesse d’esprit des fans de rock and roll me dérange. Le monde du rock and roll prétend toujours être le dépositaire d’un message social important alors que c’est tout simplement du show-business, comme tout le reste. C’est bien souvent pris trop au sérieux. Je trouve également triste que ces types de musiques plus anciennes que nous avons évoqués sur « Autoamerican » se perdent. Je me sens glisser vers une forme plus générale de musique « pop ». Peu à peu, tous ces goûts pour des musiques différentes sont détruits et chacun se retire dans sa propre clique ségrégationniste. C’est tragique… Les groupes les plus populaires sont ceux qui créent constamment leur propre cadre de référence, ceux qui parviennent à sortir de leur image, à la changer constamment…

FAUX
R & F – « Autoamerican » est l’album éclectique et risqué d’un groupe qui évite de se répéter?
C.S. – Oui, il faut rester imprévisible. On ne peut plus être très original, à l’heure actuelle. Il faut d’abord synthétiser les éléments musicaux qui vous influencent, et ensuite reconstruire le tout dans le studio en faisant appel à l’imagination… Sur ce dernier album, nous avons voulu présenter une musique qui détruirait les frontières. J’aimerais que « Autoamerican » résolve des tensions raciales en mélangeant des publics différents. Je vois toutes ces cultures diversifiées converger en un point où elles formeront une race solide de jeunes qui ne seront pas divisés par des problèmes raciaux stupides (le racisme anti-disco, etc.). Je crois vraiment au cataclysme… toute cette société est désaxée, en train de s’écrouler…
D.H. – « Autoamerican » est un disque très déroutant parce qu’il exige un esprit ouvert et des goûts variés.
C.S. – Je crois que les gens ici sont un peu déroutés à cause de la victoire des Conservateurs. Une fois que l’on a établi un style de vie et que l’om a progressé à l’intérieur de ce style, il est bien plus diffcile de faire marche arriére que d’avancer… Les Américains sont encore toujours centrés sur l’acquisition du confort matériel. Ce sont des enfants gâtés et ignorants du reste du monde. Nous sommes tellement riches et nos niveaux de vie sont, comparativement, tellement élevés… Gimme a break!
R & F – Il y a pourtant bien des New-Yorkais qui ont du mal à joindre les deux bouts en fin de mois…
C.S. – Oui. Tous nos amis, par exemple…
D.H. – Des artistes de talent que je connais, qui étaient des leaders lors des beaux jours du CBGB, ne sont toujours pas parvenus à obtenir la reconnaissance du public qu’ils méritent… voilà l’une des pires choses que j’aie vécues. Il ne suffit plus d’être capable de sauter en scène et de chanter…
R & F – Parfois, vous chantez un peu faux.
D.H. – Oui, parfois je suis off-key, ma voix n’est pas juste. Mais ce n’est pas à dessein!
C.S. – Je trouve le ton de Debbie sur chacun de nos disques assez constant et ferme…
D.H. – Non… Je puis t’indiquer des chansons où ma voix est assez fausse. Vraiment. C’est un peu comme la fuzz-box ou la pédale wah-wah: on peut insuffler toutes ces qualitiés différentes et ces inflexions à la voix simplement en en changeant le ton, ce sont pourtant les mêmes notes chantées dans des styles différents…
R & F – Chacune des nouvelles compositions exige vous que vous assumiez une personnalité nouvelle, comme au cinéma, que vous habitiez un personnage différent… revoilà la connexion visuelle…
D.H. – Je suis d’accord. Je crois que cela a été très audible sur le dernier album. Par le passé nous avons essayé d’atteindre cette versatilité, mais je ne pense pas que nous y soyons parvenus. Ma voix n’a pas changé. Je me suis améliorée en tant que chanteuse au studio d’enregistrement. D’autre part, je pense que mon attitude ainsi que mon aptitude à exprimer des sentiments et des atmosphères différents se sont également perfectionnés. « Autoamerican » est le résultat d’une évolution, de notre maturation en tant qu’auteurs-compositeurs…
C.S. – J’aime enregistrer des disques, c’est comme l’assemblage d’un puzzle…
D.H. – Cela faisait cinq ans que nous avions envie d’enregistrer un disque hors de New York. Cette fois, nous nous sommes retrouvés aux United Western Studios, downtown L.A., où Mike Chapman a son propre studio, construit sur mesures.
C.S. – C’est là que les Beach Boys ont enregistré plusieurs hits…
D.H. – Ainsi que Jan and Dean, Mamas and Papas, etc… L’une de mes chansons préférée sur « Autoamerican » est d’ailleurs « Angels On The Balcony ».
R & F – Vos compositions et leurs arrangements sont-ils terminés avant d’entrer au studio?
C.S. – La majeure partie l’est. Mais nous finissons beaucoup de chansons en studio. Debbie écrit aussi certaines paroles à la dernière minute. C’est un aspect intéressant de son style, je trouve.
D.H. – Je note toujours des idées sur de petits calepins. D’habitude j’attends que la musique soit terminée, et puis j’y accole des textes. Dès ce moment-là, mes idées sont en général explorées à fond.
R & F – On a beaucoup parlé de vos publicités pour une certaine marque de jeans…
D.H. – Je ne crois pas que l’on ait fait un tel foin à ce sujet. Nous avons écrit la musique et le slogan pour la première version. La seconde publicité était plutôt le produit d’une agence. J’ai déjà dit ceci: je pense que les jeans sont symboliques de l’Amérique, tout comme le rock and roll… J’ai par conséquent trouvé très légitime de me lancer là-dedans.
C.S. – C’est en tout cas mieux que ces publicités pour cigarettes que l’on peut voir dans certains magazine de rock and roll ici… Il faut garder une certaine perspective…
R & F – Quels sont les aspects positifs et négatifs de votre succés?
C.S. – Je dirais que le côté négatif est cet assassinat dramatique de John Lennon. Il faudrait analyser la nature du succès… Pourquoi tant de nos héros, James Dean, les Kennedy… deviennent des cibles… Mais en ce qui concerne le groupe, nous avons eu du bon temps, ce fut merveilleux.
D.H. – C’est un business à haute concurrence. Nous avons travaillé de façon ininterrompue pendant six ou sept ans – sans vacances véritables. Le succès en lui-même est positif, surtout lorsqu’il arrive après une lounge période de travail passionné. L’aspect bizness m’éloigne malheureusement de ma concentration musicale… et je déplore une perte d’une certaine vie privée. Pour moi, le vrai probléme est cette idée fausse que l’on se fait de votre vie privée, basée sur votre image publique…
Le couple musical préféré des popistes nous quitte pour se rendre au Power Station où il termine un album avec Nile Rodgers, Bernard Edwards et Chic, en arrièrefond. La moitié des chansons ont été écrites par Nile et Bernard, l’autre moitié par Debbie et Chris… Le projet Blondie devrait se réactiver bientôt… – DALI DE CLAIR.


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DEBORAH HARRY

KOOKOO
Chrysalis CHR 1347 (dist RCA)
Honnêtement, êtes-vous prêts? Le monde est-il prêt? Je veux dire, est-ce que les millions de crétins adolescents et truffés d’acné juvénile qui ont fait de « Autoamerican » et de « Eat To The Beat » un triomphe total – alors que les premiers et vieux amoureux de Deborah ne trouvaient là strictement aucun petit bout de viande à se glisser entre les quenottes autrement aiguisées autrefois pas des mets de choix comme « Rip Her To Shreds » ou « Detroit 442 » – vont supporter l’idée de ce qu’est cet album? Pfou! crient les lecteurs (car c’est une bien longue phrase).
Pfou! crie le critique insouciant. Quelle idée de se gâcher les vacances en exigeant le privilège douteux d’être celui qui dira… Qui dira si Debbie Disco vaut mieux que Blondie Pop.
La Harry, mes très chers, était lasse. Ereintée par la nullité ambiante de ses deux précédents efforts. Prête, bref, à n’importe quoi pour faire éclater cette routine mielleuse oû votre adoration l’emprisonnait. Pas loin de là, les mentors de Chic, Bernard Edwards et Nile Rogers hurlent à tout vent leur volonté de produire tout ce qui bouge, respire, remue. Résultat: mariage. Les créateurs de « Le Freak » et de « Good Times » rencontrent la Marylin Monroe du rock! On voit d’ici le scandale. Scandale que la presse anglo-saxonne stigmatisa allègrement. Chacun chez soi! Qu’est-ce que ça veut dire?
Ça veut dire que Chic, bande de crétins, est le meilleur groupe en activité. Ces types sont géniaux. Et pour une artiste créativement épuisée quelle qu’elle soit, un traitement de Chic à haute dose s’impose. Deborah Harry tirera de cet album, j’en fais le pari, trois numéros un mondiaux, sans compter « Oasis » qui lui ouvrira le marché oriental et la Goutte d’Or plus sûrement qu’une danse du ventre en direct sur la télé intergalactique. L’ennui, c’est que Chris Stein fasse partie intégrante du deal. Que ce type soit marié à Debbie, tant mieux pour lui. Qu’il s’obstine à lui écrire toutes ses chansons, passe encore, à la rigueur. Mais que ce crétin bulleux vienne gâcher avec ses horribles solos de guitare démodés et ringards les riffs supernaturels des hommes de Chic, là je hurle au scandale.
Quand Diana Ross enregistrait avec Chic, les pontes de la Motown, Gordy en tête, veillaient au grain… Fais pas ci, Diana, fais pas ça!
Eh bien là, ça recommence. Chris Stein a tout passé au crible. Oh, en toute bonne volonté. Affectueux, le barbon. Ça va Debbie, t’as pas froid au moins? Attentif, protecteur. Non, chante pas ça, c’est mauvais pour ta gorge… Sûr que sous sa protection rapprochée, Chic a dû drôlement courber l’échine… Et le résultat est entièrement imputable à ce binocleux ringard! Car « KooKoo » ressemble à un steak mal cuit.
Brûlé dehors, cru dedans. Chaque tandem s’est octroyé une chanson, les une après les autres, hop, chacun son tour. Les seules fois où les quatre se rencontrent vraiment, le résultat produit une catastrophe (« Under Arrest », à gerber) et un prodige (« Oasis », à tomber – par terre). Le reste du temps, les couples se sont faits des politesses, des vacheries ou des révérences. Exemple de révérence: le premier morceau, « Jump », semble la quintessence de l’art de Chic. Refrain vengeur, petits riffs de piano et guitare bass montant en zig-zag aux nues. C’est un titre Harry/Stein. Second titre: « The Jam Was Moving ». Du Blondie tout craché. Pop immaculée, refrain du tonnerre, arrangements scintillants… C’est un hommage signé Rodgers/Edwards.
L’auditeur, là dedans? Il se demande quand les politesses vont cesser et quand la bagarre va commencer. Elle n’aura pas lieu, cette guerre des quatre. Chacun est resté ancré sur ses positions, et personne n’a eu l’idée de génie de coincer les doigts de Chris Stein dans une porte pour lui interdire ces solos puérils de matamore bigleux. Côté vacherie, on retient « Inner City Spillover », humiliante démonstration de la nullité des Chic en matière de reggae. Mais on le savait, ça! Non seulement j’en ai ma claque de ces reggaes obligatoires et faux comme des jetons qui adornent le moindre album 1980 (à une époque, c’etait le country de rigueur, à une autre le blue… ils ont une de ces imaginations, dans le rock!), mais en plus Chic déteste le reggae. C’est un groupe de soul-rock fulgurant, et personne ne demande à Burning Spear d’y aller de son couplet disco! Je m’enerve, et j’ai l’air de dénigrer farouchement, mais comprenezmoi bien: il se passe sur ce disque des chose. On boit, on mange, on sort enfin du ronron quotidien. Et surtout les bougres nous font cadeau d’un certain nombre de gemmes rares et taillées de frais.
A commencer par « Chrome », « Backfired », « Surrender » et sans oublier le commotionnant « Oasis » dont nous reparlons à chaque fois que possible tant il nous semble la merveille du LP.
Sur ces titres-là, apparemment, les génies de Chic ont réussi à distraire l’attention de Œil-de-Lynx-Stein, évidemment terrorisé chaque fois qu’on risquait d’égratigner le mythe ou l’image de sa sacro-sainte poulette aux œufs d’or. Sur « Surrender », la basse de Bernard Edwards, enfin libérée, explose en sautillant et crépite en vous caressant l’échine de notes rondes et fermes, boulettes de bonheur suave.
Et la guitare de Nile Rodgers courbe, incurvée, plongeant en arcs spacieux et lumineux, pirouettant sous nos tympans ébahis…
Autre marché couvert (si l’on ose…), les gay-people… « Backfired » prend soin d’eux en les ramassant là où « Cruising » (le film) les avait abandonnés. Arrangements stupéfiants d’aisance (les Chic sont hip sur ce coup) et numéro un au Palace garanti.
Comme on s’en doute, les interprétations sont ouvertes. Difficile de passer à côté d’un album pareil sans ralentir. Difficile d’ignorer la pochette terrifiante de Giger (le créateur du monstre d’ « Alien ») qui a transformé la Deb en barbecue-chiche kebab. Avec classe. Tout cet album respire la classe et le Chic. Sauf Chris Stein, mais j’ai peur de me répéter. – PHILIPPE MANŒUVRE.

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